Article Entreprendre- migrants entrepreneurs
Entrepreneur engagé dans l’évolution de notre société et « influenceur d’un monde meilleur» , Yannick Le Guern est le fondateur de B1-AKT Leading Sustainable Strategies and Paragon Communication. Il nous explique comment il a imaginé un dispositif européen d’intégration global et pérenne des migrants.
Quel est votre parcours ?
Yannick Le Guern : Celui d’un enfant de la campagne… Je suis originaire d’un petit village de Haute-Saône, et je suis monté à Paris, en bon provincial, pour faire ma prépa Normale Sup à Cachan en économie gestion.
La suite est presque classique : des grandes écoles, un doctorat portant sur la mise en œuvre efficiente des politiques publiques et de l’action complexe. En parallèle, à 23 ans, j’étais conseiller au ministère de l’Intérieur et professeur-chercheur rattaché au Centre Européen en Finance et en Gestion, puis à la Chaire Entrepreneuriat HEC-ESCP.
J’interviens toujours dans les écoles de commerce, les universités et les écoles d’ingénieurs (Masters de Centrale Supélec, MBA de l’Ecole des Ponts et Chaussées). J’ai créé des dispositifs pédagogiques innovants d’apprentissage de l’entrepreneuriat pour la Chambre de Commerce et d’industrie de Paris et co-dirigé son incubateur d’entreprise.
Actuellement, au sein de B1-AKT, je transforme le monde par des projets entrepreneuriaux concrets ancrés dans des territoires et basés sur la coopération internationale. Je fais également partie de nombreux Boards comme celui de CSR Beyond UK (compagnie dédiée à la responsabilité sociétale des entreprises et aux objectifs de développement durable, NDLR) pour favoriser l’innovation intersectorielle et l’entrepreneuriat sociétal.
Qui êtes-vous ?
Nous intervenons au niveau national et international sur des questions de pilotage de projets complexes, de prospective, de conseil politique et plus largement d’accompagnement et de pilotage d’action complexe publique. Dans le secteur privé, nous accompagnons des projets internationaux et interculturels et soutenons le développement des ETI à l’international.
Nous exerçons également un rôle d’influence sur des questions sociétales au niveau européen ainsi que dans l’OGP (Open Government Partnership) pour favoriser la transparence de l’action publique, pour sa co-construction avec la société civile et pour l’innovation démocratique.
Quelle est votre philosophie de vie ?
Ma philosophie est opérative et je suis animé par une volonté farouche de contribuer à l’évolution du monde comme dirait Epictète. Ma vision est holistique, intellectuelle, concrète et entrepreneuriale. Cet esprit est commun à nos salariés, partenaires et à notre écosystème, et sous-tend des actions pérennes, évolutionnaires, dans des démarches collaboratives et Win3, soit des projets triplement gagnants.
Quelles valeurs sous-tendent votre action ?
Des valeurs à la fois républicaines, humaines, de respect de l’autre, de dignité, de solidarité, de transmission, avec le désir d’innover, d’entreprendre et d’œuvrer à améliorer l’homme et la société. Comme dirait Gandhi, être le changement que l’on veut voir dans ce monde.
Quel rêve poursuivez-vous ?
Mon rêve est européen et national. Mon projet est de contribuer à renouveler l’action publique et ses moyens de mise en œuvre, à la fois plus entrepreneuriaux, efficients, fondés sur des valeurs républicaines, créatrices de cohésion sociale et d’engagements citoyens dans le gouvernement de la cité. J’aspire à la création d’eutopies concrètes.
« Nous accompagnons les migrants sur des projets entrepreneuriaux avec l’aide de parrains chefs d’entreprise »
Sur quel type de projet intervenez-vous et sous quelle forme ?
Dans le cadre de notre société, nous intervenons sur des projets transnationaux favorisant l’économie circulaire, le développement économique des territoires, l’entrepreneuriat sociétal, l’intégration des migrants et minorités, ou l’empowerment de publics en difficulté, de croissance économique positive à long terme, des programmes d’accès à l’emploi pour chômeurs de plus de 40 ans, la formation des « Women Leaders » et « Global Sustainable Leaders », d’identité européenne, de citoyenneté renouvelée…
Nous avons une structure dédiée à ces questions, « Be-COM-1 » Think tank, agence de réflexion et de « Change Making » i.e de conception, pilotage et accompagnement de changements et transformations sociétales. Elle fonctionne sous forme de labs, co-évolutionnaires, spécialisés dans les innovations sociétales, les solutions disruptives au développement, basés sur le « Transition Design » ou les approches holonomiques.
Quelle est la genèse de la réflexion menée autour du dispositif d’intégration des migrants ?
La genèse est un travail de monitoring et d’évaluation pour la Commission européenne de sa politique non humanitaire d’assistance à la population syrienne. Cela nous a amené à nous interroger, puis à dessiner et mettre en œuvre des solutions aux besoins immédiats et à long terme en matière de politique publique pérenne d’intégration des réfugiés et migrants, afin de faire face à la crise migratoire. Nous en avons conçu une approche inclusive et globale.
Selon quels paradigmes le projet s’est-il construit ?
Laura Petrache, vice-présidente de l’innovation et du développement international au sein de B1-AKT, citoyenne globale, porteuse d’interculturalité (elle parle 12 langues), et entrepreneure visionnaire travaille sur les questions d’intégration au niveau internationale depuis 15 ans. Avec elle, nous avons bâti un dispositif européen d’intégration global et pérenne des migrants – « Migrant Integration Lab » (MIL) – par expérimentations et projets pilotes dans 7 pays de l’Union européenne.
Nous intégrons d’abord les migrants d’un point de vue linguistique, civique et citoyen, entrepreneurial et économique par un processus d’une durée de 3 mois. Nous les accompagnons ensuite sur des projets entrepreneuriaux pendant 18 mois avec des parrains chefs d’entreprise. Puis, nous formons et professionnalisons les acteurs et parties prenantes de l’intégration au niveau national. Enfin, nous pilotons l’écosystème d’intégration et mettons en réseau les bonnes pratiques et les acteurs au niveau européen grâce à des outils et plateformes.
Quelles sont les principales missions du Migrant Integration Lab ?
Il permet de développer de manière pérenne l’intégration économique des nouveaux arrivants en fonction des besoins des territoires et de favoriser leur inclusion sociale. Le MIL permet de rendre les migrants autonomes et de faciliter leur intégration par l’acquisition ou le développement de compétences mais aussi de renforcer leurs capacités d’action au sein d’un laboratoire de formations-accompagnements. Ce dispositif favorise l’insertion professionnelle et l’élaboration de projets entrepreneuriaux ou de subsistance. Il crée du dialogue, des rencontres et de la compréhension mutuelle entre migrants et population nationale.
Le dispositif permet de professionnaliser les acteurs de l’intégration, de développer et utiliser des outils efficients d’accompagnement à l’intégration, et de favoriser le développement économique et la revitalisation territoriale et nationale. Le MIL développe une mise en réseau et des échanges de bonnes pratiques au niveau local et européen
Quels sont les résultats concrets de votre dispositif d’intégration ?
Le parcours d’intégration permet ainsi aux migrants de développer de l’autonomie linguistique, des aptitudes à créer des liens sociaux et professionnels pour accéder au marché du travail, à l’autonomie économique, et à l’intégration sociale en exerçant leurs droits et devoirs.
Plus largement, le dispositif permet pour la société d’assurer une intégration civique, socio-culturelle et économique rapide et pérenne des migrants ainsi qu’une assimilation des valeurs républicaines et citoyennes. Le MIL est également un levier afin de réduire les coûts économiques et politiques pour les territoires et gouvernement et d’apaiser des tensions intercommunautaires.
Quels sont les enjeux associés à une intégration appréhendée dans sa globalité et dans la durée ?
Les enjeux sont capitaux et globaux : soit on tire parti d’une crise et on crée de la valeur ajoutée, des innovations sociétales et du dialogue entre les populations avec un renforcement de notre culture et de notre identité nationale soit, à court, moyen et long termes, nous aurons des problèmes de tension, d’affrontements, et des effets négatifs à 3 ou 4 générations comme c’est déjà le cas.
D’un point de vue plus prosaïque, le dispositif que nous avons créé permet une intégration rapide des migrants, mais également des publics en difficulté, la création d’entreprises, d’emplois et de valeur ajouté. C’est d’autant plus vrai que, selon leur provenance, de nombreux migrants ont des diplômes de l’enseignement supérieurs. Ils sont jeunes, adaptables et ont une volonté farouche de s’intégrer.
À quels obstacles vous heurtez-vous ?
Les institutions sont souvent plus des acteurs bloquants que facilitant… Il manque aujourd’hui les outils, les dispositifs, la coordination et surtout une politique d’intégration globale, efficiente et visionnaire.
Nos gouvernants, face à la montée des populismes, craignent d’agir en faveur des migrants et que cela ne leurs soient reprochés au moment des élections. La question est plus large et concerne notre projet politique commun de société, notre identité, et notre culture pour dépasser les écueils du multiculturalisme.
Comment penser l’interculturalité et dépasser le multiculturalisme ?
C’est toute la question. Le multiculturalisme, ce sont des cultures et des communautés qui vivent les unes à côté des autres, mais qui ne se comprennent pas, voire ne s’aiment pas.
L’interculturalité est la capacité à dépasser les différences culturelles pour créer des ponts, de la compréhension et, du construire ensemble. L’interculturalité est un des piliers majeurs du dispositif Migrant Integration Lab.
Dans ce sens, nous avons créé avec Laura Petrache et Umesh Mukhi (Professeur en Leadership & Sustainable Management à l’EAESP de Sao Paulo) le réseau international, des Global Sustainable Leaders (GSL), pour regrouper des têtes de réseaux, des acteurs entrepreneuriaux et associatifs, et des porteurs de projets qui sont dans une démarche d’action, d’innovation sociétale, d’intelligence collective, et sont ouverts à l’interculturalité ainsi qu’à une citoyenneté globale.
Comment favoriser l’intégration économique et l’inclusion sociale ?
En formant les gens avec des outils simples, une pédagogie basée sur l’action, le projet, la création de réseaux et d’écosystèmes, le renforcement postural et, sur un accompagnement particulier avec un mentor lui-même entrepreneur. Nous mettons en œuvre ce type de démarche avec succès depuis une quinzaine d’années dans de nombreux pays européens.
Vers quel modèle sociétal faut-il tendre ?
Les fondements et paradigmes de nos sociétés ont volé en éclat à la faveur de la globalisation, des crises financières, sociales, migratoires ou de l’avènement des enjeux digitaux. Nous sommes dans une phase chaotique qui doit être propice à la réflexion et à la création de projets politiques porteurs de sens, renouvelant les engagements individuels et collectifs et repensant les bases de notre identité individuelle, collective, nationale, et humaine.
Les enjeux consistent aujourd’hui à prévenir le fractionnement de nos sociétés et à créer un avenir commun. Le chevalier de Ramsay (Andrew Michael, écrivain et philosophe d’origine écossaise, NDLR) parlait déjà au 18ème siècle de la création d’une république universelle avec des principes similaires.
Ce sont ceux posés par les objectifs globaux de développement durable : de la préservation de la planète, à l’évolution de la société en passant par le respect de la personne humaine. C’est-à-dire la réalisation intégrée d’un développement économique, social et environnemental basé sur l’être humain et porteur d’évolution.
« Les nouvelles lois en matière d’asile et de migration éludent les problèmes »
Quel bilan dressez-vous à ce jour en matière d’intégration des migrants ?
Les méthodes actuelles sont coûteuses, dépassées, mal pensées, mal conçues, inefficientes, et court-termistes, les acteurs quant à eux sont dispersés, non formés, en difficulté et l’ensemble des actions non coordonnées.
Nous sommes la preuve que des solutions concrètes, efficaces, pérennes et moins dispendieuses existent. Il ne reste plus aux gouvernements qu’à les reprendre…
Quelle réponse politique concrète attendez-vous ?
Notre dispositif est actuellement référencé parmi les bonnes pratiques européennes et, les appels d’offre européens en matière d’intégration, de migration et de citoyenneté sont basés sur notre travail.
De nombreux acteurs s’en inspirent mais ce n’est pas suffisant : maintenant les réponses politiques sur lesquelles nous travaillons sont nationales afin de créer enfin des politiques publiques efficientes globales et pérennes en matière d’intégrations, d’autant plus qu’il existe de vrais besoins et des opportunités au niveau territorial en matière de développement économique et social.
Comment favoriser une prise de conscience individuelle et collective ?
C’est la tâche la plus ardue car sortir de la pensée binaire, de l’émotionnel, du compassionnel, de la posture politique demande de la réflexion, de la vision et du courage.
Nous avons lancé pour cela une campagne internationale de sensibilisation en faveur de l’intégration des migrants avec les étudiants du MBA de la Business School de l’Ecole Nationale des ponts et chaussées, dont les conclusions vont faire l’objet d’un livre blanc européen.
La campagne est baptisée « #NoWallsButBridges », selon la citation de Newton nous enjoignant à bâtir entre nous des ponts plus que des murs. Elle vise à mettre le sujet sur l’agenda politique et à activer nos élus et décideurs publics.
Que faut-il comprendre par l’approche holistique que vous encouragez ?
L’humain et le fonctionnement de nos sociétés sont complexes. Les solutions simplistes sont de l’ordre du discours et sont irréalistes. Seules des approchent globales, socio-linguistiques, civiques et citoyennes, économique et entrepreneuriales sont viables et durables.
Pouvez-vous nous parler des labs au sein du MIL ?
Nous fonctionnons par labs, c’est-à-dire des structures agiles, participatives ou les acteurs travaillent en commun.
Nous avons par exemple un « Entrepreneurship Lab » (développement de projets et d’entreprises), un « Sustain-Ability Lab » (portant sur l’acquisition et le renforcement de compétences), un « Media Lab » (compétences en communication et débat public), un « Art Lab » (intégration par l’art et les projets culturels), un « Migration Lab » (compréhension systémique, prospective, idées et best practices).
Au regard du contexte géopolitique actuel, comment imaginez-vous l’avenir ?
Sombre si une volonté politique d’action n’est pas là. Les nouvelles lois en matière d’asile et de migration éludent les problèmes et ne favorisent malheureusement pas les solutions intelligentes efficientes et pérennes.
C’est pour cela que nous proposons un dispositif, des outils concrets, des méthodes agiles, une approche globale mais transférable et adaptable en fonction des territoires locaux, des besoins nationaux, des particularismes culturels et des populations accueillies.
Quid de la politique des autres pays sur ce thème ? Existe-t-il un particularisme français ?
Bien sûr, pour créer et mettre en œuvre notre dispositif, nous avons fait un benchmark, une étude des pires et des meilleurs pratiques et écosystèmes locaux, nationaux et internationaux, notamment dans les pays du Nord de l’Europe, les Etats-Unis, l’Australie, que dans les différents pays européens, les Pays-Bas, l’Allemagne et même et la Suisse.
Le particularisme français n’est pour l’instant pas à son avantage alors que de nombreux acteurs et facilitateurs font un travail formidable, malheureusement inefficient en raison de l’éparpillement et du manque de coordination globale.
Il faut désormais plus qu’une volonté politique, une politique publique nationale cohérente en matière d’intégration qui soit elle-même porteuse d’un projet sociétal, afin de transformer une crise, qui menace de s’amplifier, en avantage sociétal, économique, culturel.